Pourquoi imagine-t-on les martiens de couleur verte ?

Savez-vous pourquoi on a imaginé les habitants de la planète rouge de couleur verte ? Après tout, on aurait pu se les représenter bleu, jaune ou rouge ! Alors pourquoi cette couleur et pas une autre ?
UN PROBLÈME GRAPHIQUE
Après réflexion, je me suis dit qu’un martien rouge sur une planète rouge aurait eu un côté caméléon. Certes, d’un point de vue strictement biologique, cela peut avoir du sens. Après tout, sur Terre, on trouve bien des animaux capables de telle prouesse. Mais on parle ici de créatures imaginaires. Et généralement, l’imagination populaire ne s’embarrasse pas de contraintes scientifiques.
Je me suis alors dit qu’il devait s’agir d’un problème de représentation graphique. En effet, le vert est la couleur complémentaire du rouge. Ensemble, ils forment un couple. Ces deux couleurs se renforcent mutuellement et se mettent en valeur ensemble, chacune fait ressortir l’autre.
A cela s’ajoute notre rapport à la couleur verte, et la symbolique que nous lui accordons dans nos sociétés.
LES CONTRAINTES DES TEINTURIERS MÉDIÉVAUX
Comme nous le rappelle Michel Pastoureau, historien spécialiste des couleurs, des images et des symboles, le vert fut longtemps considéré comme une couleur instable et dangereuse.
De l’Antiquité au début du Moyen-Age, la teinte verte s’obtenait à l’aide de colorants végétaux. S’ils avaient l’avantage d’être bon marché, ils produisaient des couleurs ternes et peu résistantes. Dans les villes, les teinturiers avaient la possibilité de plonger les étoffes dans un bain de bleu puis de jaune.
Mais cela n’est plus possible à la fin du Moyen-Age. La teinturerie est devenue une activité industrielle, qui s’oppose à d’autres corps de métier comme les tisserands et les tanneurs. La profession est elle-même cloisonnée, selon les textiles que l’on travaille : laine, lin, soie … mais aussi selon les couleurs que l’on produit. L’activité est aussi sévèrement contrôlée, ce qui entrave la fabrication de certaines couleurs. Ainsi, la réglementation interdit d’opérer dans une gamme de couleur pour laquelle on n’a pas licence. Un teinturier de bleu peut teindre dans des couleurs proches comme le noir, mais pas en rouge. Celui qui teint en rouge, peut également faire du jaune et du blanc, mais pas de bleu. Techniquement, il devient très difficile de produire la couleur verte, car les cuves de bleu et de jaune ne sont plus chez le même artisan.

Démon de couleur verte sur les vitraux de la cathédrale de Chartres (vers 1215)
CROYANCES RELIGIEUSES
Si la réglementation a pour but d’organiser l’activité commerciale et de gérer les conflits entre les différents corps de métier, elle s’inspire fortement des croyances bibliques, encore fort présentent dans les esprits de cette fin du Moyen-Age. Mélanger, fusionner, amalgamer sont des opérations jugées démoniaques car elles enfreignent l’ordre voulu par le Créateur. Quiconque pratique ce genre d’activités (c’est le cas des teinturiers et des alchimistes) est puni de lourdes amendes et peut se voir interdire d’exercer. Sanction lourde de conséquences quand on sait qu’à l’époque, la tradition veut que l’on exerce le métier de son père et de son grand-père.
Au début de la Renaissance, faire pénétrer profondément la couleur dans la fibre du tissu, la rendre franche et lumineuse, éviter qu’elle se décolore rapidement, reste un processus encore mal maîtrisé. Pour la production du vert, on substitut les colorants végétaux pour des matières minérales à base de cuivre, matières toxiques et corrosives.
LA SYMBOLIQUE DU VERT
Toutes ces difficultés expliquent la dévalorisation du vert. Couleur instable et dangereuse à obtenir, elle est devenue le symbole de l’instabilité, de l’étrangeté, et parfois de la mort.
Depuis le Moyen-Age, le verdâtre renvoie à l’inquiétude. C’est la couleur de la moisissure, de la maladie, de la putréfaction. Les fantômes et les créatures de la nuit sont représentés en vert. C’est également le cas des elfes, lutins, trolls et autres créatures imaginaires qui vivent dans les forêts, c’est-à-dire dans un monde étrange et surnaturel. Ces créatures sont bien souvent versatiles et facétieuses, mais leur couleur verte renvoie également à leur étrangeté.

Selon le bestiaire du Moyen-Age, les dragons sont de couleur verte.
Manuscrit du Tristan en prose (1463) BnF.
Le vert a également pris le symbole de l’infortune, de la malchance et de l’immaturité (les fruits verts). Toujours au Moyen-Age, le diable et les êtres qui lui sont associés, les démons, les dragons et les esprits malfaisants furent représentés de couleur verte. Cette idée s’est vue renforcée par le fait que dans la nature, certains animaux dangereux pour l’homme sont de cette couleur (serpent, crocodile).
Les petits hommes verts que nous avons imaginés à partir du XIXe siècle suite à la découverte des « canaux martiens » par l’astronome italien Schiaparelli (1835-1910), ne sont finalement que les héritiers de ces créatures étranges du Moyen-âge. Et pour cette raison, ils ne pouvaient être que de couleur verte.

Les martiens de Tim Burton dans le film Mars Attacks (1996)
ÉVOLUTION DE LA REPRÉSENTATION DU MARTIEN
S’ils furent à la mode et suscitèrent de nombreuses craintes pendant le XIXe et la première moitié du XXe siècle, les petits hommes verts sont aujourd’hui tombés en désuétude. En effet, à la fin des années 1960, les images des premières sondes spatiales ont révélé que la surface de Mars était essentiellement désertique.
Il est alors intéressant de remarquer que depuis, notre représentation de l’extraterrestre a évolué vers le « petit gris » (dans Rencontre du troisième type, Stargate SG1, X-files, …) dont les origines planétaires restent la plupart du temps inconnue. Alors qu’un extraterrestre de couleur verte est lui définitivement associé à la planète rouge.

Des extraterrestres "petits gris" dans Rencontre du troisième type
de Steven Spielberg (1977)
