Johannes Kepler (1571-1630) Biographie

A la rencontre de l'astronomie qui découvrit les lois régissant les mouvements des planètes.
PRAGUE - Château de Benatek - 3 février 1600.
L'allemand Johannes Kepler a rendez-vous avec Tycho Brahe. Il a de quoi être inquiet, car tout oppose les deux hommes. Comme tout seigneur, Tycho est entouré d'une cour composée d'une quarantaine de personnes. Âgé de 54 ans, il est certainement l'astronome le plus connu d'Europe. Il doit sa réputation à la qualité de ses observations, celles qui lui ont permises de remettre en cause certains principes du dogme aristotélicien établi depuis plusieurs siècles. Kepler lui, a 25 ans de moins. C'est un rêveur hypocondriaque, un brin névrosé et toujours à court d'argent. Il vient de fuir Graz, en Styrie, en raison des persécutions des catholiques contre les protestants.

La religion protestante et l'astronomie sont les seules choses que les deux hommes ont en commun. Pourtant, leur collaboration va aboutir à l'une des découvertes les plus importantes de l'histoire des sciences, celle des lois régissant les mouvements planétaires.
ENFANCE MALHEUREUSE MAIS ÉLÈVE BRILLANT
Vingt-neuf ans plus tôt, en 1571, Johannes Kepler était conçu le 16 mai à 4 heures 37 du matin et naissait le 27 décembre à 2 heures 30 de l'après-midi dans la maison familiale à Weil der Stadt, près de Stuttgart dans le Wurtemberg, après une grossesse de 224 jours, 9 heures et 53 minutes. Ces informations sont issues des notes de Kepler lui-même et reflètent la précision quasi maladive du personnage. Il est le fils d'un mercenaire toujours absent qui finira par abandonner le foyer et d'une mère caractérielle, un peu sorcière.
Issu d'une fratrie de sept enfants, il grandit dans la pauvreté et la misère. Ses parents l'initient toutefois à l'astronomie : avec sa mère, il observe le passage de la comète de 1577 (celle-là même qui fit l'objet des mesures de Tycho Brahe), et avec son père il contemple l'éclipse de Lune du 31 janvier 1580. Mais Kepler ne pourra jamais être un grand observateur car il a contracté la petite vérole à l'âge de 3 ans, ce qui lui a sérieusement altéré la vue : il en garde une grave myopie, compliquée d'une diplopie monoculaire, ce qui l'amène à voir double.
Il débute ses études en 1578 et ses grandes capacités intellectuelles lui permettent d'entrer à l'université de Tübingen dix ans plus tard, pour suivre des études de théologie. C'est là qu'il rencontre Michael Maestlin, son professeur de mathématiques, qui l'initie au système de Copernic. Contrairement à Tycho, Kepler n'a besoin d'aucune preuve pour adhérer à l'héliocentrisme. En effet, la théorie copernicienne correspond parfaitement à sa représentation du monde et à sa conception d'un Dieu géomètre, bon et parfait, qui ne peut concevoir qu'un Univers harmonieux. Le jeune homme pense alors que son destin est de devenir pasteur. Mais en 1594, peu avant la fin de ses études, il est envoyé à l'école luthérienne du monastère de Graz, en Autriche. Un poste de professeur de mathématiques vient de se libérer, à l'autre bout du Saint Empire.
UNE ŒUVRE DE JEUNESSE
Le poste est très mal rémunéré, mais son ordinaire commence à s'améliorer lorsqu'on lui commande ses premiers calendriers astrologiques. En bon observateur, il se livre à quelques prédictions sur le climat et les récoltes de l'année à venir. Et tombe juste ! Car l'année 1595 est une année exécrable pour les paysans… mais très favorable pour Kepler, qui devient un astrologue respecté.
Obsédé par sa quête de l'harmonie du monde, il cherche à expliquer mathématiquement la perfection divine. En ce sens, Kepler est un vrai pythagoricien. Il a une révélation le 19 juillet 1595 lors de son cours d'astrologie : Dieu a conçu l'Univers en se servant des cinq polyèdres réguliers, symboles de la perfection mathématique, qu'Il a intercalé entre les six orbites planétaires ! Cela permet d'expliquer le nombre de planètes autour du Soleil. L'année suivante, il rend publique sa découverte dans un ouvrage pour le moins surprenant : Mysterium cosmographicum (Le secret du monde). Ce livre, qui circule en Italie, arrive jusque dans les mains d'un astronome pour le moins rigoureux et rationnel : Galilée. Ce dernier restera toujours méfiant envers cet homologue, aux visions du ciel pour le moins alambiquées. Mais dans un premier temps, il fait une réponse diplomatique à Kepler en lui faisant comprendre à demi-mots que lui aussi a adhéré à l'héliocentrisme depuis quelques années.

DANS SON OEUVRE DE JEUNESSE INTITULEE MYSTERIUM COSMOGRAPHICUM, KEPLER PROPOSE QUE LE NOMBRE DE PLANETES ET LEUR DISTANCE AU SOLEIL S'EXPLIQUE GRACE AUX CINQ POLYEDRES REGULIERS DE PLATON
En 1597, Kepler épouse par intérêt la fille d'un riche meunier, Barbara. Fidèle à lui-même, l'astronome interroge le ciel de ses noces et le trouve catastrophique ! Barbara est une femme très pieuse et irritable, qui ne comprendra jamais le travail de son époux.
A partir de 1610, elle montre des signes de dérangement mental avant de décéder deux ans plus tard, tout comme trois de leurs cinq enfants.
Les difficultés pour Kepler ne s'arrêtent pas là : l'Europe se transforme petit à petit en un bourbier sanglant. Suite à la Réforme protestante lancée en 1517, les Pères de l’Église catholique répliquent avec la Contre-Réforme. Les uns et les autres s’associent tour à tour aux grandes monarchies européennes pour asseoir leur idéologie. Depuis 1542, le Concile de Trente a réactivé l'Inquisition et toute personne qui ose remettre en cause l'autorité du pape où l'interprétation des Écritures met sa vie en péril. A partir de 1571, la Congrégation de l'Index se charge de la censure des livres. Et dans l'Autriche du très catholique Ferdinand II, il ne fait pas bon être protestant…
LA RENCONTRE
Franc comme l'or, Kepler n'a jamais pu taire ses interprétations toutes personnelles de la religion. Sa position devient alors difficile à tenir aussi bien en Autriche que dans sa région natale. Il doit rapidement se trouver un nouveau protecteur. C'est alors qu'il est invité en 1600 à la cour de l'empereur Rodolphe II à Prague, par l'astronome impérial Tycho Brahe.
Les deux hommes ont besoin l'un de l'autre. Brahe a certainement deviné derrière le Mysterium cosmographicum l'excellent mathématicien qu'est Kepler, et il a besoin de lui pour mettre en équation son système géo-héliocentrique. Quant à Kepler, il a besoin des données observationnelles de Tycho pour développer ses propres théories sur l'harmonie du monde.

LE CHATEAU DE BENATEK (REPUBLIQUE TCHEQUE) OU SE DEROULA LA RENCONTRE ENTRE TYCHO BRAHE ET KEPLER.
La collaboration entre les deux savants s'avère difficile. L'ogre danois ne donnant qu'au compte-goutte ses précieuses informations, Kepler prétexte plusieurs fois de quitter Prague pour qu'il les lui confie. Car au fond, les deux hommes ont chacun le plus grand mépris pour les théories de l'autre. La chance de l'Allemand est la mort prématurée de Tycho, un an à peine après leur rencontre. On ne sait comment il s'y prend, mais Kepler est nommé mathématicien impérial deux jours plus tard et se retrouve en possession des observations de Tycho.
Il se lance alors activement dans les calculs de l'orbite de Mars, pensant que cela l'occupera huit jours… mais il lui faudra finalement huit ans !
En reprenant la charge de Tycho, Kepler doit aussi fournir régulièrement des horoscopes à l'empereur, très porté sur l'astrologie et l'occultisme. Il doit également bâtir les tables Rudolphines à l'usage des astronomes, des astrologues et des navigateurs, des tables qui doivent être plus précises que les Alphonsines et Pruténiques publiées précédemment.
En 1604, il publie Optica, dans lequel il étudie la réflexion et la réfraction des rayons lumineux. Il décortique la mécanique de la vision, découvre que les images sont inversées sur la rétine, et en conclut que le cerveau doit certainement être capable de les remettre à l'endroit. La même année, il observe une nova dans la constellation d'Ophiuchus. Visible à l'œil nu pendant pratiquement une année, il en sera l'un des observateurs les plus assidus.
Après cette parenthèse, il reprend son étude de l'orbite de Mars. Les calculs sont longs et complexes, car il s'efforce d'une part de conserver des trajectoires parfaitement circulaires, et d'autre part de refaire les calculs pour chacun des trois systèmes proposés : ceux de Ptolémée, de Copernic et de Tycho. Kepler a alors l'intuition que le Soleil est à l'origine des mouvements planétaires. L'astre doit être le siège d'une force, qui retient les planètes et les oblige à tourner autour de lui. Il découvre alors que la vitesse orbitale de Mars n'est pas uniforme (deuxième loi, dite loi des aires).
Les calculs montrent également que les orbites des planètes ne sont pas des cercles, mais des ellipses (première loi). Kepler a du mal à accepter cette réalité, car elle met un coup terrible à son idée d'harmonie du monde. Il se console comme il peut, en s'imaginant que Dieu s'est servi des polyèdres pour dégrossir le ciel et fixer le nombre de planètes. Il utilise les règles de l'harmonie pour déterminer leurs vitesses et affiner ces orbites en forme d'ellipse. En 1609 parait l'Astronomia Nova, ouvrage dans lequel Kepler raconte sa longue quête du mouvement de Mars, n'épargnant au lecteur aucune de ses tentatives infructueuses !
LA DÉCOUVERTE DE LA LUNETTE
Début 1610, Kepler publie aussi Discussion avec le messager céleste, un petit ouvrage rédigé en quinze jours dans lequel il vient en aide à Galilée, après que celui-ci ait publié les premiers résultats de ses observations avec sa lunette. Bien que l'allemand n'ait pas encore eu l'occasion d'observer avec l'instrument, il prend position en faveur de son homologue italien, estimant que les découvertes de ce dernier restent dans la limite du raisonnable. Mais Kepler a surtout un grand avantage sur l'italien : il a déjà étudié le principe optique de la lunette et peut ainsi estimer à leur juste valeur les découvertes qu'annonce Galilée. En août 1610, grâce au prêt d'une lunette, il peut enfin observer autour de Jupiter les "astres médicéens", comme les a baptisé le florentin. Kepler sera le premier à leur donner le nom de satellites, lorsqu'il rédigera son rapport d'observation l'année suivante. Dans la foulée, il publie également son Dioptrice, dans lequel apparaît une théorie scientifique correcte de l'instrument.

CETTE PLANCHE EXTRAITE DE L'OPTICA ILLUSTRE LE TRAVAIL DE KEPLER POUR COMPRENDRE LE FONCTIONNEMENT DE L'OEIL
Mais les relations entre Kepler et Galilée s'arrêteront là, l'Allemand retournant ensuite à ses cogitations mystico-pythagoriciennes sur l'harmonie du monde. Encore neuf années de calculs acharnés avant d'aboutir à la publication de son Harmonices mundi.
ERRANCES ET RÉUSSITES
En 1611, l'empereur Rodolphe II est renversé, ce qui laisse Kepler sans protecteur. Il part alors pour Linz, en Autriche, où lui est offert un poste de professeur de mathématiques. Sa femme étant décédée peu avant son déménagement, il se remarie en 1613 avec Suzanna, qui lui donne sept enfants, dont trois survivront. 1613 est également l'année où Kepler réalise une étude de la chronologie du Christ. Il est le premier à démontrer que le calendrier grégorien accuse une erreur d'au moins 5 ans, impliquant que le Christ serait né au mieux en l'an -4. Il découvre également la triple conjonction Jupiter-Saturne de l'an -6, qu'il propose comme interprétation de l'étoile des Mages.
Deux ans plus tard, nouveau coup dur : sa mère est accusée de sorcellerie et risque le bûcher. Pendant six années, Kepler doit assurer sa défense. En août 1620, elle est emprisonnée mais Kepler arrive finalement à convaincre les juges de la libérer le 28 septembre 1621. Sa mère décédera quelques mois plus tard, suite à cette épreuve.
L’HARMONIE DU MONDE
En 1619 paraît enfin Harmonices mundi en 5 volumes, aboutissement des vingt années de recherches astronomiques et mathématiques de Kepler. Il y explique entre autres sa fascination pour la découverte de Pythagore : la musique est d'essence mathématique. Pour que les sons soient harmonieux à l'oreille, il faut que la longueur des cordes de l'instrument soient proportionnelles les unes aux autres. Pour Kepler, cela s'applique également aux planètes. Il explique alors que l'orbite de chacune d'elle correspond à une partition musicale écrite par Dieu. Les six planètes forment alors un chœur à six voix, mais pour pouvoir l'entendre, il faudrait se placer à la place du Soleil !
