Quelles étaient les connaissances astronomiques des mésopotamiens ?

La Mésopotamie est le berceau de la civilisation. Elle a connu l’édification des toutes premières villes (Mari, Sumer, Ur, Babylone) ainsi que l’apparition de l’écriture, le cunéiforme, vers 3200 avant J-C. C’est également dans cette région du monde que les prémices de l’astronomie apparaissent. Pendant plusieurs millénaires, les astronomes-astrologues vont scruter le ciel, créer les premiers repères célestes (les constellations et le zodiaque) pour enfin aboutir à une arithmétique capable de calculer à l’avance la position des planètes.
BRÈVE PRÉSENTATION HISTORIQUE
Littéralement, Mésopotamie signifie le pays entre deux fleuves, du grec meso [au milieu de] et potamos [fleuve]. C’est une vaste plaine sillonnée par le Tigre et l'Euphrate. Elle recouvre essentiellement l’Irak actuel, avec une partie du Koweït, l’est de la Syrie et le sud-est de la Turquie. Entourée par le désert et les montagnes, elle forme ce que l’on appelle le croissant fertile.

Pour comprendre les motivations des Mésopotamiens pour l’astronomie, un bref rappel historique est nécessaire. Plusieurs peuples se partagent le contrôle du territoire. À la fin du IIIème millénaire av. J.-C, l’Empire sumérien domine. Les Sumériens connaissent un apogée pendant deux siècles, la ville d’Ur est leur capitale. Ils légueront un héritage culturel important, qui sera sans cesse complété par les civilisations suivantes. Vers 2350 av. J.-C, les Akkadiens conquirent le pays. A Ur, ils construisent une ziggourat dédiée à Sîn, la déesse Lune. Le plus connu des rois akkadiens est Sargon Ier. Au début du IIème millénaire, un nouvel empire dirigé par le roi Hammourabi (1792-1750) émerge, centré sur Babylone. Parallèlement, on assiste à la montée en puissance de l'Empire assyrien. Vers 800 av J.-C, les Assyriens prennent le pouvoir. Puis, deux siècles plus tard, c’est au tour des Chaldéens. Cependant, les deux royaumes subissent régulièrement les invasions des peuples voisins. L'empire babylonien s'effondre suite à l’invasion perse au VIe siècle av. J.-C. Puis, en 332 av J.-C, c’est au tour d’Alexandre le Grand d’envahir la région, qui passe sous domination grecque.
Géographiquement, la région est stratégique. Elle est située au carrefour des routes commerciales venant de l’Europe, de l’Arabie et de l’Asie. Tout au long de leur histoire, les peuples de la Mésopotamie furent obligés de commercer, devenant ainsi un immense marché où se côtoient différentes cultures et s’échangent les idées. L’histoire de la Mésopotamie a donc donné lieu à de nombreux brassages de peuples et de cultures. Il est relativement difficile de préciser les généalogies culturelles et savantes de chacune des traditions ayant fondé la civilisation mésopotamienne, ainsi que leur apport dans la science des étoiles
LES SOURCES

Les historiens disposent de près de 800 000 tablettes retrouvées à ce jour, conservées principalement au Louvre, au British Museum et au Vatican. Les tablettes proviennent de la ville d’Uruk, de la bibliothèque de Ninive, la capitale assyrienne, et de divers endroits de Babylone. Près de 1 500 parlent d’astronomie. Le plus ancien document connu date du IIème millénaire. Mais l’essentiel des tablettes date entre 650 et 50 av J.-C. Nous disposons également des reliefs sculptés sur les murs des monuments, ainsi que des Kudurru, des stèles portant le texte d’une donation royale de terres, sur lesquelles figurent les divinités.
Bien que les tablettes cunéiformes parlent de l’observation des astres, elles donnent également les présages associés. Présagent que l’on peut également lire à travers le vol des oiseaux ou dans les entrailles d’un chien !
L’IDENTIFICATION DE VENUS

L’une des tablettes les plus anciennes dates du règne d’Ammisaduqua (vers 1646-1626 avant J-C). Elle donne les dates et les heures des levers et couchers de Vénus pendant les vingt années du règne. Cela nous permet d’affirmer qu’à cette époque, l’étoile du matin et celle du soir sont clairement identifiées comme un seul et même astre : Ishtar, déesse de la fécondité, qui sera plus tard assimilée à Vénus/Aphrodite. Ces observations laissent supposer que les Mésopotamiens scrutent le ciel depuis bien plus longtemps. Car il faut pouvoir observer et conserver les traces des observations de Vénus pendant plusieurs dizaines d’années pour finir par en déduire que l’astre que l’on voit tantôt le matin, puis tantôt le soir, est en fait un seul et même astre. Ce travail n’est possible qu’à partir de l’invention de l’écriture, vers 3200 avant J-C, qui permet de consigner les mouvements des astres.
LES TABLETTES ENUMA ANU ENLIL ET MUL APIN
Deux autres séries de tablettes constituent les principales sources d’informations de l’astronomie mésopotamienne : la série Enuma Anu Enlil et la série Mul. Apin, qui proviennent de la bibliothèque d’Assourbanipal, à Ninive.
Enuma Anu Enlil (baptisée ainsi car elle commence par les mots "quand les dieux Anu et Enlil") est un ensemble de 70 tablettes datant du IIe millénaire av J.-C. La série comporte 7000 présages astrologiques. Elle témoigne d’une observation systématique du ciel. Pour chaque nuit est indiquée la durée qui sépare les levers et couchers du Soleil, les phases de la Lune, le rapprochement de la Lune avec les étoiles remarquables ainsi que les éphémérides planétaires : position dans le ciel, premières et dernières visibilités, points stationnaires, opposition.
Les tablettes Mul Apin (baptisée ainsi car elle commence par les mots "constellation de la Charrue") datent de 1100 avant J.-C, mais fait état d’un savoir plus ancien, probablement contemporain des tablettes Enuma Anu Enlil. Les Mul Apin constituent le premier catalogue stellaire, décrivant 66 constellations parmi lesquelles on trouve Suhur-Mash-Ha (le Poisson-Chèvre), Pabilsag (Sagittaire) ou Gir-Tab (Scorpion).
Le ciel est divisé en trois secteurs : chemin d’Enlil, le dieu du vent, correspond au ciel boréal, le chemin d’Anou, dieu du ciel, comprend essentiellement la zone équatoriale, et chemin d’Ea, le Dieu des arts et des sciences, correspond à la partie du ciel austral visible depuis Babylone. Un autre texte mentionne les 18 constellations situées sur « le chemin de la Lune », qui correspond plus ou moins à l’écliptique*.
LES KUDURRU
On trouve les premières représentations avérées de constellations sur des Kudurru, des stèles portant le texte d’une donation foncière par le roi, le tout protégé par des divinités. Datant de 1350 avant J-C, on reconnait sur le Kudurru de Meli-Shipak le Poisson-Chèvre (futur Capricorne), le Sagittaire, et le Scorpion.

DESCRIPTION DES DIVINITES-CONSTELLATIONS SUR UN KUDURRU
LA COSMOLOGIE BABYLONIENNE, UNE MOTIVATION POUR L’OBSERVATION DU CIEL
Dans la cosmogonie mésopotamienne, la Terre née du corps de Tiamat coupé en deux par Marduk. L’une des deux parties forme la Terre, l’autre le ciel. Selon l’interprétation mésopotamienne, les créatures et les hommes n’ont pas de libre arbitre. Ce qu’ils entreprennent est la volonté des dieux (les cinq planètes visibles à l’œil nu, ainsi que le Soleil et la Lune). Mais ces dieux sont bienveillants, ils avertissent toujours de leur attention. Il est donc nécessaire d’observer le ciel, pour interpréter les volontés divines. Comme nous l’avons vu dans le rappel historique, la Mésopotamie est une région mouvementée, qui lutte en permanence contre les invasions. Savoir à l’avance ce que prépare la cité voisine est gage de sureté. De ces considérations vont naitre une astrologie au service de l’état, afin de prévoir les grandes destinées du pays et prédire l’avenir du roi.

MARDUK COMBAT TIAMAT POUR DONNER NAISSANCE A LA TERRE
L’ASTRONOMIE MÉSOPOTAMIENNE
Pour les astronomes-astrologues mésopotamiens, les étoiles sont de simples repères permettant de calculer la position des sept astres errants considérés comme des divinités : Sîn (la Lune), Shamash (le Soleil), Ishtar (Vénus), Nergal (Mars), Marduk (Jupiter), Nabu (Mercure) et Nin-Urta (Saturne). De l’observation de ces astres, ils en déduiront leur calendrier et inventeront la semaine de sept jours.
Afin de calculer ces positions avec une grande précision, les Mésopotamiens divisèrent le ciel en constellations. La plupart de celles-ci seront reprises par les Grecs, avant d’arriver jusqu’à nous.
Le ciel est lui-même divisé en trois secteurs : le chemin d’Enlil, le dieu du vent, correspond à la partie du ciel comprise entre le pôle nord céleste et la déclinaison +23°. Le chemin d’Éa, le dieu des eaux, correspond à la partie du ciel comprise entre le pôle sud céleste et la déclinaison -23°. Enfin, le chemin d’Anu, le dieu du ciel, correspond à la zone du ciel située de part et d’autre de l’équateur céleste, entre les déclinaisons +23° et -23°.

DECOUPAGE DU CIEL SELON LES MESOPOTAMIENS
Les constellations ainsi réparties permettent de repérer les douze mois de l’année ainsi que le début de chaque saison. 2000 ans avant J.-C., le Taureau (Gud An.na) contenait la position du Soleil au moment de l’équinoxe de printemps, le Lion (Ur-Gu-La) le solstice d’été, le Scorpion (Gir-Tab) l’équinoxe d’automne, et le Capricorne (Suhur-Mash Ha), le solstice d’hiver.
Pendant près de deux millénaires, les Mésopotamiens vont ainsi scruter anxieusement les mouvements des astres pour savoir quels messages les divinités adressent aux humains : phases, couleur et aspect de la Lune, luminosité, heure des levers et couchers des planètes, dates des solstices et équinoxes, levers héliaques de Sirius, conjonctions de la Lune avec les étoiles les plus brillantes. Un événement imprévu comme une éclipse ou le passage d’une comète n’était pas bon signe. Les comètes étaient ainsi baptisées ‘‘dug-ga’’ (charognard). Quant aux éclipses, elles étaient l’occasion de mettre en place un rituel pour conjurer le sort : un roi substitut montait sur le trône, car selon la croyance, le ‘‘faux roi’’ absorberait le mal et les mauvais présages. Une fois le phénomène céleste terminé, on faisait disparaître le malheureux pour prouver au peuple la véracité du rituel.
Finalement, ce n’est qu’au début du VIème siècle avant J.-C. que les astronomes assyriens aboutissent à une astronomie mathématique assez précise. Mais cette dernière connaîtra son heure de gloire qu’au cours de la période chaldéenne, entre 539 et 75 avant J.-C., lorsque les Perses auront conquis la région. Les Chaldéens vont hériter des observations accumulées par les Babyloniens depuis près de 2000 ans. Ces derniers vont développer une arithmétique capable d’expliquer les vitesses variables des planètes. Ils commencent par simplifier le problème en supposant qu’il n’y avait que deux vitesses différentes, l’une rapide et l’autre plus lente. On peut comprendre facilement leur méthode en traçant un diagramme montrant comment ils figuraient la variation du mouvement au cours du temps. Puis, entre 180 et 50 avant J.-C., les modèles se sont perfectionnés. Une fonction zigzag remplace le modèle discontinu. Elle traduit avec une plus grande précision le changement de vitesse progressif des astres.

À partir de là, des éphémérides pourront être établies, permettant de connaître avec une certaine précision les positions des cinq planètes visibles à l’œil nu, ainsi que celles de la Lune et du Soleil. Perdant ainsi leurs propriétés divines, les planètes sont devenues de simples objets naturels dont il est possible de connaître le comportement grâce aux mathématiques. Mais contrairement aux Grecs, il semble que les Chaldéens n’aient pas élaboré de théories mathématiques permettant d’expliquer les mouvements des planètes.
Capable de définir à l’avance les positions des planètes et de la Lune, l’imprévisibilité disparaît et l’astrologie d’État perd de son importance. Vers 410 avant J.-C., le zodiaque est divisé en douze parties de 30° chacune, permettant à l’astrologie d’État de se transformer en astrologie individuelle généthliaque : c’est le début des horoscopes tels que nous les connaissons encore aujourd’hui. Pourquoi douze parties ? Certainement parce que les Mésopotamiens comptaient en base 60, de laquelle nous avons hérité pour compter les heures et les degrés d’angle. Ainsi, diviser un cercle de 360° en six, puis en douze semble être le réflexe le plus immédiat.
