Le casse-tête de la longitude
Pour se repérer sur terre et sur mer, les hommes ont tôt fait de chercher des solutions. Non sans difficultés.

S'il est aisé de calculer sa latitude à partir de la hauteur du Soleil (ou de l’étoile polaire), il en est tout autre de la longitude. En effet, celle-ci se confond avec la rotation de la Terre, et donc avec l’écoulement du temps. De plus, il est nécessaire de définir un méridien d’origine, alors que pour la latitude, l’équateur s’impose naturellement.
Le calcul crucial de la longitude, indispensable pour les marins, va ainsi occuper les savants, et plus particulièrement les astronomes, pendant près de deux siècles. Le problème deviendra d’ailleurs tellement insoluble, qu’il finira par être rangé au coté de la quadrature du cercle ! Mais il va aussi permettre des progrès spectaculaires, comme la détermination exacte des dimensions de la Terre, l’étude des mouvements de la Lune, la cartographie complète de la voûte céleste, et l’invention de l’horlogerie de précision.
QU'EST CE QUE LA LONGITUDE ?

Pour connaître sa position à la surface de la Terre, on a besoin de deux coordonnées. La latitude, c'est-à-dire, sa hauteur au-dessus ou au-dessous de l’équateur, qui peut se déduire dans l’hémisphère nord, à partir de la hauteur de l’étoile polaire, et la longitude. Cette dernière permet de connaître sa position à l’est ou à l’ouest d’un méridien de référence.
En soit, le calcul de la longitude n’a rien de compliqué : la Terre accomplissant un tour sur elle-même (360°) en 24 heures (1440 minutes), un déplacement de 1° à la surface du globe correspond à un décalage de 4 minutes de temps. En distance, 1° de longitude représente environ 110 km sur l’équateur, 74 km à la latitude de Paris.
Dès 1530, le géographe Gemma Frisius indique que pour connaître sa longitude, il suffit de comparait l’heure d’un méridien de référence, avec l’heure du lieu où l’on se trouve. Mais cette solution implique de pouvoir « conserver l’heure » à une époque où les horloges accusent une heure de retard par jour ! Déterminer la longitude dans ces conditions est tout simplement impossible.
LA RECHERCHE D'UN SIGNAL UNIVERSEL
Deux pistes de recherche s’ouvrent aux savants :
soit utiliser un signal universel, visible depuis n’importe quel point de la Terre, et dont on connaît à l’avance l’heure à laquelle il va se produire sur le méridien de référence. Il s’agit donc d’un phénomène astronomique.
soit avoir avec soit un « garde-temps » afin de conserver en permanence l’heure du méridien de référence.
Vu les qualités de l’horlogerie de l’époque, la première solution est retenue, et les astronomes sont mis à contribution.
Hipparque suggéra dès le IIème siècle avant J.-C, d’utiliser les éclipses de Lune. L’inconvénient, c’est leur rareté. Deux ou trois par an au maximum ! Pas terrible si on doit faire le point en mer tous les jours …
En 1610, Galilée découvre les quatre principaux satellites de Jupiter, dont les éclipses régulières (au moins une fois par nuit) fournissent une méthode plus fiable pour le calcul astronomique des longitudes. Cependant, leur observation précise nécessite l’utilisation d’une lunette astronomique dans des conditions de parfaite stabilité, impossible à obtenir sur un navire.
En ce début de XVIIème siècle, le trafic maritime international explose avec la naissance du monde colonial. La détermination de la longitude en mer devient stratégique et une priorité d’état.
LA NAISSANCE DES OBSERVATOIRES "OPTIQUES"
Les souverains des grandes puissances maritimes proposent des récompenses pour celui qui trouvera une solution fiable au problème de la longitude. L’Espagne, le Portugal, la République de Venise vont ainsi surenchérir. En Hollande, on propose jusqu’à 30 000 florins.
Une nouvelle voie apparaît alors, à partir d’une idée ancienne. En 1514, l’astronome allemand Johannes Werner (1468-1522) proposa d’utiliser les angles que forme la Lune avec des astres remarquables (étoiles la nuit, Soleil le jour) et de les noter dans des tables pour chaque heure de la journée. Le marin retrouvant alors ces configurations dans le ciel peut en déduire l’heure locale. Cette méthode dite « des distances lunaires » n’en ai pas moins utopique à l’époque de Newton, que la proposition de Frisius en 1530. En effet, que ce soit au XVIème ou XVIIème siècle, la position exacte des étoiles dans les catalogues célestes n’est pas assez précise, il en va de même pour les mouvements de la Lune. Et les cartes géographiques sont plus qu’approximatives !

L'OBSERVATOIRE ROYAL DE GREENWICH AU XVIIème SIECLE
L’appât d’une prime ne faisant qu’attirer plus de charlatans que de propositions sérieuses, la France et l’Angleterre se décidèrent enfin à donner les moyens humains et matériel satisfaisant aux astronomes. En Angleterre, Charles II Stuart fonde la Royal Society en 1662. Cependant, il faudra attendre 1675 pour que l’Observatoire de Greenwich sorte de terre, et que son premier directeur, John Flamsteed, se voit confier la mission «de rectifier les tables des mouvements célestes et les positions des étoiles fixes ». Pendant 30 ans, il va mesurer les positions des étoiles avec une précision de 10 secondes d’arc ! En France, Louis XIV et Colbert fondent l’Académie des Sciences en 1666, ainsi que l’Observatoire de Paris (1667). Moyennant finance, Colbert attire l’italien Jean-Dominique Cassini pour le nommer directeur de l’Observatoire. En effet, Cassini s’était fait une solide réputation en publiant des tables précises des satellites de Jupiter permettant de calculer la longitude sur terre. Suivrons le hollandais Christiaan Huygens, qui inventera le principe du pendule pour réguler les horloges, principe inutilisable en mer, et le danois Ole Römer, qui déterminera pour la première fois la vitesse de la lumière en 1676, à partir des positions des satellites de Jupiter.
LES CARTES GÉOGRAPHIQUES GAGNENT EN PRÉCISION
A partir de cette époque, les astronomes français emporteront avec eux à chacun de leur déplacement, les tables de Cassini, afin de mesurer la longitude des lieux où ils se rendent (sur la terre ferme). Les cartes géographiques sont de plus en plus précises. En 1683, Philippe de la Hire présente au roi la nouvelle carte de France, ce qui vaudra cette remarque de Louis XIV à Colbert : vos astronomes ont fait perdre au royaume plus de territoire que nos généraux n’en ont conquis !

CARTE DES COTES FRANCAISES. LE NOUVEAU TRACE FIGURE EN ROUGE.
Si les cartes s’améliorent, le méridien d’origine n’est toujours pas défini. Ainsi, lorsque le Neptune françois est publié en 1693, la longitude est donnée à partir du méridien de l'île de Fer, la plus à l'ouest des îles Canaries, ce qui permet de compter positivement la longitude. Mais en pratique, les marins utilisent déjà d'autres méridiens de référence : celui de Paris, de Greenwich ou de Tenerife.
LE LONGITUDE ACT
Le 22 octobre 1707, la Royal Navy dirigée par l’amiral Shovell s’échoue sur les îles Scilly, causant 2000 morts. L’enquête montrera que la cause du désastre était l’incapacité pour les capitaines de se situer au large des côtes. L’intérêt pour la longitude est relancé …

EN RAISON D'UNE MAUVAISE INTERPRETATION DE LA LONGITUDE, L'AMIRAL SHOVELL PERDRA UNE GRANDE PARTIE DE SES NAVIRES SUR LES COTES DES ILES SCILLY
En 1714, le parlement de Westminster vote une loi révolutionnaire : le longitude act. On propose alors une prime de 20 000 livres sterling (plus de 3 millions d’euros actuels) pour celui qui trouvera un moyen pratique de calculer la longitude en mer avec une précision d’un demi degré, soit à 40 km près. Et pour gérer le fameux pris, les anglais créer une commission d’experts, formant le Board of Longitude.
Flamsteed est sommé de publié son catalogue d’étoiles. Mais celui-ci refuse, trouvant que son travail n’est pas abouti. Le catalogue sera finalement saisi par Newton et Halley. Mais cela ne résout toujours pas le problème, car si on connaît précisément la position des étoiles, il n’existe pas de tables précises des mouvements de la Lune !

CARTE DE LA REGION DE PERSEE ET ANDROMEDE,
EXTRAITE DE L'ATLAS CELESTE DE FLAMSTEED.
A la mort de Flamsteed en 1720, Edmund Halley est nommé Astronome Royal. Il décide alors de réaliser les tables de la Lune en l’observant sur un cycle complet de 18 ans, alors qu’il a lui-même déjà 66 ans ! Il mènera tout de même le projet à son terme, mais ses tables, trop imprécises, ne seront pas exploitables.
Finalement, c’est le jeune astronome allemand Tobias Mayer qui publiera en 1753 des tables correctes des mouvements de la Lune, en combinant les observations de Bradley (successeur de Halley en tant qu’Astronome Royal) à ses propres calculs mathématiques. Ces tables, à l’origine des éphémérides du Nautical Almanach, publié à partir de 1766 par l’Observatoire de Greenwich, assurons la suprématie de la marine britannique. La méthode des distances lunaires est enfin au point, 250 ans après la proposition Johannes Werner ! Mayer obtiendra le deuxième prix du Board of Longitude.
LES HORLOGERS DEVANCENT LES ASTRONOMES
Alors que les astronomes sont occupés à réaliser les catalogues précis de la position des étoiles et des mouvements de la Lune, les horlogers font considérablement progresser leur science.

JOHN HARRISON ET LA MONTRE H4 QU'IL A INVENTE
En 1735, John Harrison (1693-1776) réalise pour la première fois une horloge de grande précision (baptisée H-1), pesant 36 kg, et dont la compensation thermique est assurée par une double bande d’acier et de laiton, deux métaux dont la dilatation et la contraction s’équilibrent avec les variations de température. Poursuivant ses recherches, Harrison met au point en 1760, une montre (la H-4) dont la friction est limitée par l’emploi de roues dentées, le tout tenant dans un diamètre de 12,7 cm et pesant 1,5 kg. Testée en mer à partir de 1762, elle n’affiche que 5 secondes de retard après 81 jours de traversée. Le calcul de la longitude par la méthode que proposa Frisius en 1530 peut enfin être appliqué ! Cependant, Harrison devra encore se heurter au Board of Longitude, composé essentiellement d’astronomes. C’est dernier appréciant assez peu de se faire battre par un simple horloger, ne veulent pas reconnaître l’importance de la découverte. Finalement, après plusieurs années de tests afin de vérifier la fiabilité de ses chronomètres de marine, Harrison touchera la récompense promise seulement trois ans avant sa mort !
