Faire de l'astronomie avec Saint Seiya
Saint Seiya est un manga écrit et dessiné par Masami Kurumada et publié au Japon à partir de janvier 1986. En France, ce manga est surtout connu pour sa version animée, diffusée dans le Club Dorothée à la fin des années 80 et début 90, sous le nom “les chevaliers du zodiaque”.
A l'époque les jeunes français dont je faisais partie, découvraient pour la première fois les mangas à la TV. Il y avait bien eu quelques prémices comme Goldorak, Albator ou Capitain Flam, mais cela restait marginal. Au début des années 1990, le Club Dorothée a permis pour la première fois en France, la diffusion massive de manga animés à la télévision, comme Dragon Ball, Nicky Larson, Ken le survivant ou Olive et Tom.
Parmi ceux-ci, Saint Seiya est celui qui m'a le plus marqué. Et pour cause, l'œuvre de Masami Kurumada est un mélange subtil et équilibré d'influences médiévale avec des chevaliers en armures et le code chevaleresque du combat au un contre un, mais également de mythologie grecque et d’astronomie. Sujet original pour un auteur d’origine japonaise. Rapidement, je fus fasciné par ce monde incroyable où se côtoient mythologie grecque, constellations, héros invincibles au pouvoir quasi mystique. Bref, tout ce qu' il fallait pour faire rêver l'adolescent que j'étais. Et je dois bien l’avouer, Saint Seiya a beaucoup contribué à ma passion actuelle de l’astronomie. Rien que pour cela, je remercie fortement Masami Kurumada.
Aujourd’hui, je vous propose d’analyser Saint Seiya par le prisme de l’astronomie. Le sujet étant vaste, il se répartira sur plusieurs vidéos. Je m’intéresserai principalement à la version papier, publiée entre 1986 et 1990, et diffusée en France chez Kana, ainsi qu’à l’adaptation animée diffusée à la TV entre 1986 et 1989, soit les 114 premiers épisodes regroupant l’arc sanctuaire, Asgard et Poseidon. Ainsi qu’à l’adaptation animée de l’arc Hadès réalisée entre 2002 et 2008.
Bien entendu, le but n'est pas de briser le rêve, ni de critiquer l'œuvre de Masami Kurumada, mais bien de faire de l'astronomie avec un support plaisant et ludique. Ce nouveau regard sur Saint Seiya mettra en évidence les nombreuses sources, les références, les influences et l’énorme travail de recherche entrepris par l’auteur pour faire rêver ses lecteurs.
A voir également : Saint Seiya, la Grande Ourse et les chevaliers divins d'Asgard
Dans cette première vidéo, nous allons étudier le concept astronomique mis en place par Kurumada et sur lequel repose une grande partie de l’histoire de Saint Seiya. Ce concept nous est expliqué dès le début de l’histoire par Saori. Mais avant cela, plantons le décor pour celles et ceux d’entre vous qui ne connaissent pas ce manga.
Ainsi débute Saint Seiya. Un peu plus tard, Saori explique les relations entre les chevaliers, les Saints, dans la version d’origine, et les constellations.
Dans cet extrait, on voit déjà une première référence à l’astronomie. Lorsque le dôme du Colisée se referme, il se couvre d’étoiles. L’ensemble représentant la voûte céleste, mais fait également penser à un planétarium. Cependant, dans ce passage, les propos de Saori sont un peu confus. On y parle de chevalier, de constellations, du nombre de constellations sur le ciel et de certaines constellations particulières : le zodiaque. Autant dire que si vous n’êtes pas familier avec l’astronomie, ce passage doit vous paraître bien confus. Essayons d’y voir plus clair.
Saori explique tout d’abord que “les armures des chevaliers représentent les constellations, d’où elles tirent leur force”. Il nous faut donc expliquer ce qu’est une constellation.
Les constellations sont des dessins inventés par les hommes en reliant les étoiles les plus brillantes entre-elles, avec des lignes imaginaires. La raison d'être des constellations est de faciliter le repérage des étoiles sur le ciel. Cependant, tout le monde n'imagine pas les mêmes constellations, et ce, pour plusieurs raisons.
D'une civilisation à une autre, alors que l’on voit les mêmes étoiles, les constellations sont différentes, car l'imagination des hommes dépend de leur culture et de leurs croyances. Ainsi, dans l'Antiquité, là où les Grecs imaginaient une Grande Ourse, les Romains voyaient sept bœufs de labour. Mais l'imagination des hommes évolue également à travers le temps. Prenons à nouveau l'exemple de la Grande Ourse. Aujourd'hui, il nous paraît évident de reconnaître la forme d'une casserole à partir des sept étoiles de cette constellation que l’on continue d’ailleurs d’appeler la Grande Ourse.
Au XXème siècle, avec la mondialisation de l’astronomie professionnelle, il fallut se mettre d'accord afin que les astronomes du monde entier utilisent les mêmes repères, donc les mêmes constellations. En 1928, l’UAI demanda à l’astronome belge Eugène Delporte d’officialiser les constellations. Pour cela, il fallait sélectionner une fois pour toutes les figures du ciel qui allaient devenir les constellations officielles. Au final, le ciel sera divisé en 88 constellations. Delporte a tout d’abord retenu les constellations grecques, référencées dans l’Almageste de Ptolémée. Au nombre de 48, elles sont pratiquement toutes visibles depuis l’hémisphère nord de la Terre, à l’exception du Centaure, du Loup, de l’Autel et du Navire Argo qui se trouvent aujourd’hui visibles dans l’hémisphère sud en raison du mouvement de précession de la Terre. Dans l’Antiquité, ces quatre constellations étaient visibles depuis la Grèce. Par ailleurs, le Navire Argo fut lui-même divisé en trois constellations à partir de 1753, par l’astronome français Nicolas Louis de La Caille. Ainsi, aujourd’hui le navire Argo est connu sous le nom des constellations de la Poupe, de la Carène et des Voiles.
Comme nous l’avons dit, les constellations visibles depuis l’hémisphère nord sont connues depuis l’Antiquité, et s’inspirent de la mythologie grecque. Ce n’est pas le cas des constellations de l’hémisphère sud. Les étoiles du ciel austral furent découvertes par les Européens à partir des premiers grands navigateurs comme Magellan et Vasco de Gamma, soit à partir du XVème siècle. En effet, il fallait oser s’aventurer vers des contrées inconnues, sans carte, ni repère céleste. Car à l’époque, pour se repérer sur les océans, ont a besoin de l’astronomie. Les premières constellations du ciel australs seront inventées en 1603 par les navigateurs hollandais Keyser et Houtman. Ce travail sera complété par La Caille en 1753. Bien entendu, ces constellations n’ont plus rien à voir avec la mythologie grecque. Keyser et Houtman inventeront des constellations en lien avec les animaux exotiques qu’ils rencontreront dans ces pays lointains : l’oiseau de paradis, le toucan ou le caméléon pour ne citer que celles-la. Quant à La Caille, il s'inspire des progrès technologiques du siècle des lumières. On retrouve ainsi des constellations fort peu poétiques comme le fourneau ou la machine pneumatique.
Cela a son importance dans Saint Seiya. Car Kurumada s’est inspiré du pouvoir narratif des constellations pour inventer ses personnages. Et on comprend bien qu’il est plus facile de mettre en scène un chevalier portant l’armure de Pégase que de la machine pneumatique ! Mais nous y reviendrons dans la prochaine vidéo.
Reprenons le discours de Saori. Elle précise “qu'il existe autant de chevaliers qu'il y a de constellations : 29 dans l’hémisphère nord, 47 dans l’hémisphère sud”. Là, ça se complique. Pour séparer les étoiles de l’hémisphère nord de celles de l’hémisphère sud, les astronomes ont divisé le ciel en deux parties égales avec l’équateur céleste. Il s’agit tout simplement de la projection de l’équateur de la Terre sur la sphère céleste. Or, certaines constellations se retrouvent à cheval sur l’équateur céleste, tant et si bien qu’il est difficile de dire si elles appartiennent à l’hémisphère nord ou à l’hémisphère sud. Le meilleur exemple est la constellation d’Orion, qui est coupée en son milieu par l’équateur céleste. Il me paraît donc bien compliqué de pouvoir affirmer qu’il y a 29 constellations dans l’hémisphère nord et 47 dans l’hémisphère sud. Par ailleurs, on notera que 29 + 47 = 76. Nous n’avons donc pas les 88 constellations officielles. Dans ce calcul, les 12 constellations du zodiaque ne sont pas prises en compte. Or, les constellations du zodiaque se répartissent sur les deux hémisphères. Il n’y a donc pas de raison de ne pas les mettre à part.
Saori aborde le cas des constellations du zodiaque par la suite “Enfin, entre les hémisphères de l’orbite du système solaire, se trouve ce que l’on appelle les constellations du zodiaque. Ce sont 12 constellations parmi les 88 au total”. Ici, l’explication entraîne une confusion avec ce qui a été dit précédemment. Après avoir parlé de la répartition des constellations entre l’hémisphère nord et sud, on nous désigne les constellations du zodiaque comme les constellations qui séparent les hémisphères de l’orbite du système solaire. Autant vous le dire, cette phrase n’a aucun sens ! En effet, ce qui est improprement désigné comme l’orbite du système solaire est le plan de l’écliptique, qui contient justement l’orbite , la trajectoire si vous préférez, de la Terre autour du Soleil. Le système solaire ayant la forme d’un disque centré sur le Soleil, le plan de l’orbite de la Terre sert de référence pour définir l’écliptique, c'est-à-dire le plan dans lequel se déplacent les planètes autour du Soleil. En prolongeant le plan de l’écliptique sur la sphère céleste, celui-ci trace une ligne imaginaire le long de laquelle furent imaginées les constellations du zodiaque. Il ne faut donc pas confondre la ligne écliptique et la ligne de l’équateur céleste. L’équateur céleste est incliné de 23° par rapport à l’écliptique. C’est ce qui permet d’ailleurs, de mesurer l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre par rapport au plan de son orbite. On devrait donc parler de la partie du ciel située au nord de l’écliptique, et qu’il ne faut pas confondre avec le ciel de l’hémisphère nord, qui est est la partie du ciel séparée par l’équateur céleste. Il en va de même pour l’hémisphère sud.
On peut également tout de suite préciser que le nombre de constellations du zodiaque est de 13. A ne pas confondre avec les 12 signes astrologiques. J’aurai l’occasion d’y revenir. Pour celles et ceux d’entre vous qui veulent en savoir plus sur ce sujet, je vous renvoie à ma vidéo dont je vous met le lien ici au-dessus.
Enfin, le discours de Saori s’achève ainsi : “seules 12 personnes peuvent prétendre au plus haut rang. Seulement ces 12 chevaliers ont le droit de revêtir cette armure d’or (désignant l’armure du Sagittaire)”. Bon ici, il s’agit davantage d’une erreur de continuité avec la suite de l’histoire, que d’une erreur astronomique. En effet, on apprendra plus tard qu’il n’existe pas une, mais 12 armures d’or, et autant de chevaliers qui vont avec. Ce que je trouve remarquable, c’est que Kurumada a, dès le début de son histoire, choisi de mettre en scène l’armure d’or du Sagittaire, car il est lui-même du signe astrologique du Sagittaire. Ce qui peut nous paraître logique en tant qu’Européen, ne l’est pas forcément quand on sait que l’auteur est japonais. De part sa nationalité, Kurumada devrait être davantage intéressé par l’astrologie chinoise que par l’astrologie occidentale. C’est comme si un auteur européen avait choisi de mettre en scène une histoire autour du tigre de métal ou de la tortue de feu, au prétexte qu’il est de ces signes dans l’astrologie orientale. C’est bien cela que je trouve remarquable. Qu’un auteur japonais s’approprie aussi bien les mythes occidentaux pour créer une histoire cohérente et passionnante. Ce qui ne fut certainement pas facile à imposer au lectorat nippon des années 80. Donc merci à Kurumada pour ce tour de force, et à bientôt pour une prochaine vidéo sur l’astronomie dans Saint Seiya.